Un article qui trainait dans ma tête depuis un certain temps, alors que je vois mille polémiques d’un côté et une demande croissante de l’autre, en tant que libraire. Un sous-genre de la romance qui pose question et interroge, ce qui ne peut que m’intéresser ! Faisons le point.
Qu'est-ce que la dark romance, avant tout ?
La dark romance est un sous-genre de la romance apparu assez récemment, avec une explosion dans les années 2020. Au départ, il s’agissait surtout de livres en auto-édition et je me souviens que les premières demandes que j’avais, je trouvais vraiment très peu d’ouvrages. Et surtout, j’avais très peu de demandes, c’était un genre de niche.
Puis, le genre s’est développé, grâce aux réseaux sociaux notamment, je pense, et à l’essor de la romance de manière générale : nouvelles maisons d’édition, nouvelles collections, tout le monde s’engouffre dans la manne financière que cela représente.
En effet, en 2023, la romance a sauvé le marché du livre, qui fait face au contexte économique difficile inflationniste : grâce à ce segment, c’est une progression de +3% constatée sur les romans contemporains (qui a permis de limiter la casse) avec plus de 6 millions d’ouvrages vendus !
Autre point important, nous avons vu pour la première fois des autrices comme Sarah Rivens ou Morgane Moncomble entrer dans le top 10 des auteurs les plus vendus en France. Preuve que la romance a le vent en poupe.
Dans cette veine de la romance, la dark romance a su prendre sa place, la preuve encore avec le phénomène Sarah Rivens et Captive. Cette explosion de la dark romance, je l’ai particulièrement vue avec les demandes toujours croissantes de client.e.s qui m’en demandent beaucoup plus qu’avant.
Si jamais tu ne sais pas ce qu'est la dark romance, je te mets la définition Wikipedia : "catégorie des romances « interdites », mettant en scène des relations parfois condamnées par la morale ou par la loi. Dans ce genre littéraire à la frontière entre amour, désir, sexualité et violence, l’auteur joue avec les limites de la morale et le franchissement de l’interdit."
Pourquoi ce genre pose question ?
Dans ce contexte, voir des jeunes femmes mineures me demander ça... Ca m’inquiète.
En soi, même si je suis assez sceptique sur la qualité de ces romans, je n’ai rien contre de manière générale. De toute façon, il y a toujours eu des romans érotiques, certains glauques et morbides (le Marquis de Sade, pour n’en citer qu’un), et je ne vois pas pourquoi cela changerait.
Mais l’effet de mode et le manque de communication sur le contenu de ces ouvrages me pose problème. A quel moment c’est acceptable qu’une adolescente de 13 ans lise des romans avec des scènes explicites ? A quel moment c’est normal de mettre en avant des scénarios qui romantisent la violence auprès de (jeunes) populations ? Certains romans vont jusqu’à mettre en scène de la torture, ce n’est quand même pas rien.
Place aux chiffres !
Pour se rappeler de la réalité, voici quelques chiffres :
un viol ou une tentative de viol toutes les 2 minutes 30
une femme sur deux a déjà subi des violences sexuelles
une femme sur six a eu son premier rapport sexuel non consenti
plus de 200 000 femmes subissent chaque année des violences conjugales physiques ou sexuelles
(Chiffres issus de l’association #NousToutes : https://www.noustoutes.org/comprendre-les-chiffres/)
A l’heure où ces chiffres ne baissent pas, voire augmentent, je trouve cela inquiétant de voir ce genre d’ouvrages mis en avant sans aucune prévention.
Selon le Haut Conseil pour l’Egalité, en 2023, « parmi les hommes de 25 à 34 ans, près d’un quart estime qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter (…) En ce qui concerne les femmes, 80% estiment être moins bien traitées que les hommes en raison de leur sexe et 37% disent avoir déjà subi des rapports sexuels non-consentis. »
La violence est une réalité, des femmes en meurent chaque année et il ne devrait pas y avoir de romantisation de cette violence : être violent n’est pas aimer.
Alors, quelle conclusion ?
Pour des femmes majeures, la dark romance peut être une lecture stimulante : après tout, on est souvent attiré par l’inconnu, les jeux de pouvoir, etc. Mais c’est acceptable dans le cadre de personnes majeures qui savent faire la part des choses. (Et qui ne lisent pas que ça, on sous-estime l'effet d'habituation, un "phénomène psychologique qui se produit lorsque nous sommes exposés de manière répétée à un stimulus spécifique, et que notre réaction émotionnelle diminue au fil du temps".)
Quand on est mineur, on est en pleine construction identitaire et sexuelle, je pense que c’est profondément dangereux de lire des fictions qui peuvent faire croire que c’est normal, que c’est romantique d’être dans des relations toxiques et violentes.
Et qu’on ne me dise pas que ce n’est que de la fiction. On se construit aussi par ce qu’on lit et si on est tout le temps baigné dans l’image que c’est normal d’être maltraité.e par un homme, on finit par l’intégrer. Surtout s’il n’y a pas de dialogue autour, de mise en perspective, d’explication.
Je pense qu’en tant que libraire, on a un devoir moral de prévenir du contenu explicite à caractère sexuel a minima, voire de faire de la prévention sur les violences envers les femmes et de faire très attention quand il s’agit d’un public mineur.
Alors oui, bien sûr que ces personnes peuvent toujours se procurer ces ouvrages autrement et c’est pour ça qu’il ne s’agit pas de censurer, mais bien de faire de la pédagogie pour peut-être aussi faire prendre conscience de la réalité qui se cache derrière des romans : des femmes se font battre et violer beaucoup trop régulièrement pour qu’on n’aborde pas le sujet.
Lire est politique, et je pense que ce n’est pas anodin de voir une dégradation dans les chiffres en même temps que ce genre de littérature explose. Attention, je ne dis pas que ce sont ces romans qui provoquent les chiffres, tout est beaucoup plus complexe, mais qu’il s’agit d’un exemple très parlant des problématiques sociétales actuelles.
Conclusion bis
Honnêtement, je ne cherche pas spécialement à lancer un débat : je ne cherche pas à être convaincue que la dark romance n’est pas dangereuse. Le sujet n’est pas là, à mes yeux. Ce qui me chagrine, c’est la vente et le marketing sans éthique de romans adressés à des personnes majeures qui se retrouvent ensuite dans les mains d’adolescentes mineures, juste parce que c’est un genre qui cartonne et qui rapporte des sous.
(Le Festival du Livre a fait polémique en mettant en avant un livret intitulé Young-adult, destiné entre autre à un public mineur, avec des recommandations de livres contenant des scènes de sexe explicite...)
Je voudrais juste que ces romans soient lus en conscience de ce qu’il se passe réellement pour les femmes en France encore en 2024. Que le débat soit possible, qu’on admette certaines problématiques, sans tomber dans les arguments « chacun lit ce qu’il veut » et « ce n’est que de la fiction ».
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